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Kenya: Raila Odinga, l'éternel vétéran et candidat malheureux à la présidentielle
Ancien prisonnier politique qui a incarné durant des décennies l'opposition au pouvoir, Raila Odinga vient d'essuyer une cinquième défaite, battu sur le fil par William Ruto dans une course à la présidentielle âprement disputée.
Candidat malheureux en 1997, 2007, 2013 et 2017, "Baba" ("papa" en swahili) comme le surnomment ses partisans, reste donc aux portes de State House, le palais présidentiel.
Le candidat de 77 ans avait reçu pour cette élection, qui semblait son ultime chance, le soutien du président sortant Uhuru Kenyatta. Mais sa pugnacité qui a été au coeur de l'histoire récente du Kenya, n'aura pas suffi à arracher la victoire tant convoitée.
Engagé dès le début des années 1980 contre le régime de parti unique, Raila Amolo Odinga a connu la détention arbitraire (près de huit ans, sans procès, entre 1982 et 1991), un bref exil en Norvège, avant d'entrer au Parlement lors des premières élections multipartites de 1992.
C'est lors des scrutins présidentiels successifs que ce leader de la communauté luo s'imposera comme un acteur politique incontournable, toujours candidat opposé au pouvoir.
Son soutien à Mwai Kibaki lors de la présidentielle de 2002 contribuera à mettre fin aux 24 ans de règne de l'autocrate Daniel arap Moi.
En 2007, sa contestation de la réélection de Kibaki - avec qui il s'est brouillé - plongera le pays dans de sanglantes violences ethniques, faisant plus de 1.100 morts et des centaines de milliers de déplacés.
La crise se résoudra par un accord de partage du pouvoir, M. Odinga héritant du poste de Premier ministre (2008-2013). Durant cette période, il est l'un des artisans de la Constitution de 2010, considérée comme l'une des plus progressistes du continent.
- "Poignée de main" -
En 2013 et 2017, il a pour adversaire Uhuru Kenyatta, avec qui la rivalité est historique.
Son père, Jaramogi Oginga Odinga, fut le grand perdant de la lutte pour le pouvoir après l'indépendance du Kenya en 1963, au profit du premier président Jomo Kenyatta... père d'Uhuru.
En 2017, Raila Odinga fait invalider le scrutin par la Cour suprême, une première en Afrique, à la fureur d'Uhuru Kenyatta, arrivé en tête. Ce dernier sera réélu quelques semaines plus tard lors d'un nouveau vote boycotté par M. Odinga.
Contestant la légitimité du chef de l'Etat, "RAO" se fera symboliquement investir "président du peuple".
Mais pour l'élection de 2022, il n'apparaissait plus comme un challenger du pouvoir aux yeux de beaucoup de Kényans.
Son image d'éternel opposant a été écornée par son rapprochement avec Uhuru Kenyatta depuis quatre ans.
- "Pas un larbin" -
Après des violences post-électorales en 2017 qui ont fait des dizaines de morts, les deux rivaux ont, à la surprise générale, décidé d'une trêve, symbolisée en mars 2018 par une poignée de main restée célèbre.
Certains ont vu dans ce rapprochement avec M. Kenyatta - qui ne pouvait briguer un troisième mandat et a soutenu Raila Odinga pour le scrutin du 9 août - un ralliement opportuniste pour enfin accéder au pouvoir.
Lui assure avoir agi dans l'intérêt du Kenya, pour éviter une fracture profonde dans le pays.
Les Kényans "savent que je suis une personne indépendante, une personne de conscience avec de très fortes convictions", a-t-il répété devant la presse durant la campagne: "Je ne peux pas être le larbin ou le candidat de quelqu'un".
"Raila est tout à fait conscient qu'une grande partie du soutien dont il bénéficie vient du fait qu'il est une figure anti-establishment depuis si longtemps. Le +handshake+ (poignée de mains, ndlr) a sapé ce récit", explique à l'AFP Gabrielle Lynch, professeure à l'Université de Warwick (Grande-Bretagne).
- Foot et reggae -
Egalement surnommé "Agwambo" ("le mystérieux", en langue luo), Odinga est un homme de contradictions.
Ses plus fidèles partisans le considèrent toujours comme un combattant de la démocratie et un réformateur social indispensable dans un pays profondément inégalitaire. Ses détracteurs décrivent un agitateur populiste, prompt à jouer des rivalités ethniques pour assouvir son ambition.
Ces derniers l'ont également souvent épinglé comme "socialiste". S'il a certes suivi des études d'ingénieur à Leipzig, en Allemagne de l'Est communiste, et prénommé Fidel son fils aîné - décédé en 2015 - en hommage à Fidel Castro, ce riche homme d'affaires est à la tête d'un solide patrimoine économique, notamment dans le secteur de l'éthanol et du pétrole.
Réputé pour ses talents d'orateur, il a vu son charisme s'éteindre quelque peu avec l'âge. Lors de la campagne, ce grand-père de cinq petits-enfants est apparu vieillissant, bredouillant, l'élocution parfois confuse.
Mais il ne se départit pas de sa passion pour le club anglais d'Arsenal et surtout pour le reggae.
L'élection de 2022 a toutefois fait mentir la chanson de Lucky Dube dont il martèle le titre comme une devise: "Nobody can stop reggae" ("Personne ne peut arrêter le reggae").
L.Davis--AMWN