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Thaïlande: après sa dissolution, le principal parti d'opposition promet de renaître
Le principal parti d'opposition en Thaïlande a promis que son engagement prodémocratie allait se poursuivre sous une nouvelle forme, après sa dissolution et le bannissement pour dix ans de sa figure de proue, Pita Limjaroenrat, prononcés mercredi par la justice.
Les juges de la Cour constitutionnelle ont voté à l'unanimité pour dissoudre la formation Move Forward, accusée de vouloir déstabiliser la monarchie.
Cette décision, critiquée par le groupes de défense des droits humains, ouvre un nouveau cycle d'incertitudes dans un royaume divisé, sur fond de renforcement des élites économiques et militaires qui défendent les intérêts de la monarchie.
"Soyons tristes aujourd'hui, pour un jour, mais allons de l'avant dès demain, et relâchons notre frustration dans le prochain bulletin que l'on déposera dans l'urne", a réagi Pita Limjaroenrat lors d'une conférence de presse, à Bangkok.
"Nous ne vous quitterons jamais", a insisté le leader charismatique, entouré sur scène par plusieurs membres de Move Forward (MFP), vêtus de noir.
Le vainqueur des élections de 2023 perd son mandat de député, et le droit de se présenter jusqu'en 2034, ont tranché les juges qui ont condamné de la même manière dix autres cadres du parti, dont l'actuel secrétaire général Chaithawat Tulathon.
Les membres du parti dissous ont promis de reprendre le flambeau, dans une nouvelle structure qui sera dévoilée vendredi, selon une responsable. Une vidéo, publiée sur le compte X de MFP quelques minutes après l'annonce de la dissolution, a vanté les idées "indestructibles" du mouvement et le "début d'un nouveau voyage".
- "Pita jusqu'à la mort" -
Devant le siège du parti, à Bangkok, se sont rassemblées plusieurs dizaines de partisans parés d'orange, la couleur de MFP, a constaté une journaliste de l'AFP.
"Je continuerai à soutenir Pita jusqu'à la mort", a lancé Hua Jaidee, 69 ans, femme de ménage dans une université, estimant qu'en Thaïlande, "les bonnes personnes finissent toujours pas être malmenées" par l'establishment.
Vendeuse d'aliments dans la rue, Siriporn Tanapitiporn, 53 ans, a pleuré au moment de la lecture de la décision. "Mais je garde espoir dans la nouvelle génération, qui pourra rendre la démocratie à notre pays", ajoute-t-elle.
Coqueluche des nouvelles générations, Pita Limjaroenrat a tenté d'insuffler un vent de fraîcheur dans un royaume où la vie politique est dominée par des figures vieillissantes connectées à des familles puissantes ou à l'armée.
Télégénique, diplôme de Harvard, divorcé, actif sur les réseaux sociaux, le candidat a donné son visage au programme de rupture de Move Forward, qui prévoyait une nouvelle Constitution, la baisse des dépenses militaires ou la fin de certains monopoles.
La formation a aussi été la seule à oser évoquer une réforme de la loi de lèse-majesté, jugée hors de contrôle et instrumentalisée par le pouvoir pour réprimer les dissidents.
Cette promesse, assimilée à une tentative de vouloir renverser la monarchie, a valu à Move Forward d'être poursuivi dans l'affaire qui a conduit à sa dissolution.
Ces accusations sont gravissimes en Thaïlande, où le roi Maha Vajiralongkorn bénéficie d'un statut de quasi-divinité qui le place au-dessus de la mêlée politique. Toute insulte visant le monarque ou sa famille peut valoir jusqu'à quinze ans de prison.
Le parti s'est toujours défendu de toute manœuvre illégale. Il a pointé du doigt l'ingérence d'institutions contrôlées par ses adversaires politiques au détriment de l'expression populaire.
- "Décision indéfendable" -
La dissolution de Move Forward n'est "pas une surprise", dans un système où "il n'existe que des pouvoirs, et pas de contre-pouvoirs" selon la politologue Napisa Waitoolkiat.
"Dès que le pouvoir du peuple se renforce, un parti politique est dissous", a-t-elle déclaré. Au cours des vingt dernières années, les juges ont dissous une trentaine de formations politiques, selon un décompte de MFP.
Les juges ont pris "une décision indéfendable qui révèle le mépris total des autorités pour les obligations internationales de la Thaïlande en matière de droits humains", a réagi Deprose Muchena, Deprose Muchena, directeur général d'Amnesty en charge de l'impact régional sur les droits humains, cité dans un communiqué.
L'interdiction, en 2020, de Future Forward, l'ancêtre de Move Forward, avait donné lieu à d'importantes manifestations, éteintes par la pandémie et la répression des autorités visant les principales figures du mouvement, en vertu, dans de nombreux cas, de la loi de lèse-majesté.
L'an dernier, le vote des députés et des sénateurs qui a rejeté la candidature de Pita Limjaroenrat comme Premier ministre, en dépit du soutien d'une coalition majoritaire à l'Assemblée, n'avait pas suscité de fortes contestations dans la rue.
Plus de quatorze millions de Thaïlandais, un résultat inédit en plus de dix ans, ont choisi Move Forward lors des législatives, pour tourner la page d'une quasi-décennie de domination par les militaires issus d'un putsch en 2014, qui a creusé les inégalités et plombé la croissance.
En dépit des blocages de l'opposition, Pita Limjaroenrat est resté largement en tête des sondages de popularité, selon les dernières publications.
M.A.Colin--AMWN